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Genre : Drame (interdit aux - 16 ans)

Année : 1964

Durée : 1h31

 

Synopsis :

Sonoko, issue d'une riche famille bourgeoise, est mariée à un grand avocat. Ne sachant comment occuper ses journées, elle décide de prendre des cours de dessin à l'université. C'est là qu'elle rencontre Mitsuko qui devient secrètement sa muse et bientôt son amante. Bravant moeurs et mari, Sonoko est prête aux pires extrêmes pour garder Mistuko auprès d'elle. Mais la belle Mitsuko joue peut-être un double jeu avec Eijiro, son amant. C'est alors que doutes et machinations diverses entrent en jeu.

 

La critique :

Nous pouvons officiellement le dire. La longue et passionnante rétrospective dédiée à la Nouvelle Vague japonaise vient d'entrer véritablement dans son dernier tournant pour, je l'espère, finaliser ce travail en apothéose. Mais attention, il ne s'agit pas ici de chroniquer un dernier long-métrage mais bien un avant-dernier, un imprévu s'y étant ajouté en dernière minute. Un de plus ou de moins me direz vous, ce cycle étant friand des rencontres imprévues pour mon plus grand bonheur. Pour le vôtre, je ferai preuve de circonspection. En tant que dernier chapitre de la Nouvelle Vague, il aurait été impensable de ne pas finir sur mon réalisateur fétiche, celui qui m'a le plus bousculé dans ma découverte de ce courant largement mésestimé et peu mis en valeur.
Yasuzo Masumura, un nom qui est synonyme de la présence d'étoiles dans mes yeux quand j'en entends parler (c'est-à-dire presque jamais). Un nom qui aurait pu devenir une immense source d'inspiration si j'avais voulu devenir cinéaste. Titan du cinéma nippon, son oeuvre majeure de 57 films a profondément marqué le Septième Art national auquel se rajoute un parcours atypique au demeurant entre des études faites en Italie grâce à une bourse où il aura pour professeur Michelangelo Antonioni et ensuite un poste d'assistant-réalisateur auprès de Kenji Mizoguchi et Kon Ichikawa. Il n'épousera les codes ni de l'un ni de l'autre, dès 1957 où une rupture de ton se fait avec le classicisme encore fort dominant. 

Entre insolence, perversité sublimée et critique acide du capitalisme, Masumura préfigure la Nouvelle Vague japonaise à venir dont il pourrait bien être le tout premier représentant historique, celui duquel tout a émergé, un peu comme Mario Bava et le giallo. En dépit de son importance capitale, cela ne fut pas plus probant que ça aux yeux des maisons d'édition qui distribueront pathétiquement un nombre rachitique de sa filmographie qui, à l'instar de Seijun Suzuki, est encore largement inédite dans nos contrées. Une erreur impardonnable quand on songe aux rares immersions de certaines entreprises aventureuses qui mettront à jour de véritables chefs-d'oeuvre oubliés. La Bête Aveugle, L'Ange Rouge et La Femme de Seisaku reçurent leur concert de dithyrambes généralisées des rares critiques à les avoir vues. Opinions que je partage totalement, il n'y a qu'à voir l'extatisme de mes chroniques sur chacune de ces pépites. Je me montrais, toutefois, un peu plus pondéré sur le cas Tatouage qui n'usurpait, cependant, pas sa qualité de très bon film.
Quatre titres auraient été désespérant pour s'arrêter à Masumura sur Cinéma Choc. Il fallait du mieux que je pouvais gonfler ce chiffre. Et c'est ainsi que Passion débarque après un long moment à végéter dans mon disque dur, attendant ma décision de boucler ma rétrospective avec ce nom sacré : Yasuzo Masumura.

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ATTENTION SPOILERS : Sonoko, issue d'une riche famille bourgeoise, est mariée à un grand avocat. Ne sachant comment occuper ses journées, elle décide de prendre des cours de dessin à l'université. C'est là qu'elle rencontre Mitsuko qui devient secrètement sa muse et bientôt son amante. Bravant moeurs et mari, Sonoko est prête aux pires extrêmes pour garder Mistuko auprès d'elle. Mais la belle Mitsuko joue peut-être un double jeu avec Eijiro, son amant. C'est alors que doutes et machinations diverses entrent en jeu.

Passion, un nom aussi court qu'intense pour qui saura exprimer le véritable sens de ce mot. Quand un thaumaturge comme Masumura, souvent été décrit comme LE cinéaste japonais de la tragédie, s'en empare, nous ne pouvons détourner les yeux. Une thématique qu'il exploitera amplement dans les années suivantes avec les films que j'ai précédemment mentionnés. En l'occurrence, le film est l'adaptation d'un roman du très célèbre écrivain Jun'ichiro Tanizaki qui rencontrera encore les honneurs du réalisateur avec Tatouage et Un Amour Insensé qui seront là aussi des adaptations cinématographiques du romancier. Masumura, qui n'a jamais caché son avant-gardisme inouï pour l'époque, a fait de Passion un long-métrage à la réputation sulfureuse qui bouscula énormément la morale de l'époque. Il faut dire que représenter l'amour entre deux personnes du même sexe n'était pas de bon ton en 1964, pas seulement au Japon mais aussi chez nous. Rappelons que la libération sexuelle n'était pas encore d'actualité et que le genre insolent du pinku-eiga commençait tout doucement à se faire connaître.
Doté d'un courage sans faille, Masumura va larguer une véritable bombe qui a dû à coup sûr en choquer plus d'un par ses nombreux outrages aux valeurs d'un autre temps. L'intrigue démarre sur le mariage raté entre Sonoko, issue d'une famille richissime, et Kakiuchi, bénéficiant d'une place confortable dans un monde du travail d'après-guerre.

Masumura fait voler en éclat la famille traditionnelle et les rapports de force en place. Malgré son statut, Kakiuchi n'est aucunement un dominant. Vivant chez la famille de sa femme, chaque faux-pas peut lui valoir d'être exclu du foyer. Sonoko tient les rênes de leur union sacrée, rendant docile son mari. Cette révolution contraste avec la société patriarcale encore en vigueur qui étouffait la femme, la cantonnant au rôle d'être dévoué à tenir le foyer, à élever les enfants, tandis que son homme ramenait le pain à table. Un mode de vie vain que Passion envoie balayer d'un grand revers de main. Au lieu de s'occuper d'enfants, elle préfère prendre des cours de dessins pour occuper ses journées, vivant dans l'amertume de sa condition de femme délaissée. Sa rencontre avec Mitsuko va donner naissance à des sentiments qu'elle n'avait encore jamais éprouvés pour quiconque.
Un premier amour naissant entre deux femmes oubliées. Une passion de deux nymphes qui fuiront leur vie monotone pour se jeter dans un amour vrai défiant les conventions. Kakiuchi, totalement désarmé, ne pourra interférer dans ce couple caché aux yeux de tous, de peur de tout perdre. Impuissant face à une histoire qui le dépasse, il ne se doute pas que lui et Sonoko plongeront dans une mécanique de manipulation où personne ne semble être ce qu'il est vraiment.

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Passion dupe son assemblée qui s'attendait à une romance charnelle de deux femmes qui se découvrent en toute innocence, dans la chambre de Sonoko qui, en tant que peintre, voit pour la première fois de sa vie son idéal à mettre sur toile. La beauté angélique de Mitsuko est l'épicentre de ce désir passionnel, renvoyant à la figure divine. Vue comme une déesse apportant le soleil dans sa propre vie, elle est une échappatoire inespérée vers des jours meilleurs. Mitsuko, par sa capacité à faire perdre ses moyens à son âme soeur, épouse la figure fantastique, intouchable, celle qui fait chavirer les coeurs jusqu'à rendre fou. Telle une drogue dure, son corps rend dépendant quiconque osera le contempler. Une preuve évidente lorsque Sonoko exigera de Mitsuko qu'elle se dévêtisse complètement pour finalement la contempler telle la divinité qu'elle est. On voit à quel point Masumura est un fervent dramaturge et in fine un adulateur de la mise en scène théâtrale d'inspiration shakespearienne, scrutant cette passion effrénée et irréductible peu importe l'adversité et les doutes qui finiront par faire plonger tous les acteurs du carré amoureux. Car la vérité est toujours horrible à entendre avec Masumura dont la romance ici présente rime inévitablement avec décadence.

Cette décadence est avant tout morale. Chacun se servira de l'autre pour combler ses désirs, sa propre passion. On épouse les valeurs individualistes et on finit par consommer l'autre par tous les moyens possibles. Finalement, la perversité ne réside pas dans l'attirance lesbienne mais bien dans les réactions peu éthiques de chaque protagoniste. La simple attraction magnétique des corps féminins l'un envers l'autre est finalement la chose la plus inoffensive. Filmée avec pudeur, elle n'occulte pour autant pas une sensualité qui ne peut laisser indifférent. Car ce n'est pas tant cet amour interdit pour l'époque qui est dérangeant mais bien les desseins de chacun qui pourrissent la passion originelle. Passion laisse de nombreuses zones d'ombre dans son sillage, ne nous expliquant jamais vraiment les motivations de chacun. Cette dévotion à l'égocentrisme n'est-elle qu'une manière de vouloir exister en étant le centre de l'attention de chacun ? Comme de coutume avec cet artisan, le coup de poing est rencontré mais n'est pas aussi intense que ses plus grandes réussites.
Par exemple, nous aurions aimé avoir plus de scènes pures entre Sonoko et Mitsuko de la même force de frappe que la séquence où elles se dénudent dans la chambre sans jamais que le tout ne devienne racoleur. L'autre point qui pourra faire tiquer est une construction narrative un poil trop tortueuse dont les rebondissements pourront lasser sur la durée tant les motivations de chacun ne cessent d'être troubles même quand on pense les avoir cernées.

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Au niveau du visuel, le style du réalisateur se ressent avec ces couleurs pastel et son minimalisme. Déjà en 1964, Masumura possédait son érudition de metteur en scène que nous connaissons tous. Caméra habile au programme, précision des plans, surtout quand il est question des corps nus de Mitsuko et Sonoko s'entrelaçant, jeux d'ombres et de lumières travaillés. Tous les compteurs sont au vert. Grosse mention à la partition sonore où les mélodies désespérées se succèdent sans jamais flirter avec la saturation et surtout le larmoyant à outrance. Le cinéaste n'a pas besoin de s'abaisser à des manoeuvres aussi puériles et fausses pour que l'émotion ne surgisse. Enfin, et c'est là que tout l'aspect théâtral se fera ressentir, outre la gestion des espaces et des décors, c'est sur l'interprétation des acteurs surjouant volontairement leur rôle. Ca plaira ou non mais force est de reconnaître que ce n'est pas dénué de charme. Après, pour le réalisme, vous repasserez, sans surprise...
Les laudateurs retrouveront des têtes connues et plébiscitées de la Nouvelle Vague parmi lesquels la sublime Ayako Wakao dont le charme galvanise toujours autant la foule. Nous retrouverons Kyoko Kishida et ses lèvres que l'on jurerait être botoxées, Eiji Funakoshi, Yusuke Kawazu, Kyu Sazanka et Ken Mitsuda. Peu de personnages sont de la partie.

C'est toujours un grand moment pour moi de me plonger dans un nouveau film du Dieu Yasuzo Masumura tant il m'a fait passer par une myriade de sentiments à chacune de ses rares pellicules à avoir eu le privilège d'être exploitées chez nous. Sans surprise, je suis ressorti comblé d'une séance toujours aussi touchante que cruelle où la passion n'est pas toujours synonyme de bonheur. Reflétant mille et une facettes mais toujours un même sens, elle sera à l'origine de la désagrégation de l'extase des sens et de l'horreur psychologique qui peut découler de ceux qui auront eu le malheur de se jeter dans une spirale infernale. L'inéluctable fin n'en sera que plus tragique, faisant rejaillir une dernière fois toute la rigidité d'une société japonaise. On peut alors voir en Passion une dévotion de Masumura envers un féminisme encore très pauvre où les femmes doivent avoir le droit de jouir de leurs propres privilèges et de goûter à la liberté. Si ce cru ne parvient pas à se hisser au même rang que La Bête Aveugle, L'Ange Rouge et La Femme de Seisaku, il serait fort dommage de faire l'impasse sur ce film du cinéaste japonais de la tragédie dont le dégoût à l'égard de l'anonymat dans lequel il est cantonné n'en est que plus intense.

 

Note : 16/20

 

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