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Genre : Thriller, drame, giallo (interdit aux - 12 ans)

Année : 1970

Durée : 1h35

 

Synopsis :

Minou, jeune femme prude et insatisfaite, est mariée à l'industriel Peter. A l'opposé de Minou, son amie Dominique est une femme libre et sensuelle qui se livre à des jeux érotiques au cours desquels elle se photographie en compagnie d'amants. Accusant Peter de meurtre, un maître chanteur exige de Minou son corps pour prix de son silence.

 

La critique :

Qu'est-ce que je pourrais bien encore vous dire, histoire d'espérer que vous lisiez les deux petits paragraphes qui servent d'introduction ? Ah, que nous sommes à nouveau face à un giallo, mais je pense que vous avez dû remarquer le nom italien sur la pochette très vintage ! Oui mais encore... Ah oui, qu'il me tarde de recenser combien de gialli se sont retrouvés en tout sur Cinéma Choc lorsque cette rétrospective prendra fin dans (seulement) deux chroniques après celle-ci. Le dénouement est imminent comme vous pouvez le constater, ce qui devra à n'en point douter faire sabrer le champagne chez nos trois fidèles lecteurs (en comptant les auteurs eux-mêmes). Bon, sinon quoi d'autre ? Eh bien que tout démarre en 1963 avec... Je sais, je sais que vous connaissez la mélodie par coeur mais pensez un peu aux (mal)chanceux qui ne nous auraient pas encore découverts et ne connaîtraient, peut-être, même pas encore les grandes lignes historiques du giallo.
Donc je disais, en 1963, Mario Bava claqua dans le paysage transalpin ce qui sera le brouillon ou plutôt l'oeuvre fondatrice de ce cinéma d'exploitation aussi appelé le thriller policier à l'italienne. Son nom ? La Fille qui en savait trop. L'année suivante, Six Femmes pour l'Assassin introduira le célèbre meurtrier masqué tenant une arme blanche dans sa main gantée de noir. Succès retentissant à la clé mais ce genre ne rencontre pas encore le succès escompté. Dario Argento se chargera de remettre au goût du jour le giallo avec sa trilogie animale qui débute avec L'Oiseau au Plumage de Cristal

Le tout début des années 1970 sera la période du boom du giallo où un peu de tout et de n'importe quoi sortira dans la foulée, respectant scrupuleusement ou moins l'esprit très réglementé du style. Il y a du bon et du moins bon. Certains noms ressortent grâce à leur érudition ou au contraire grâce à leur médiocrité. C'était une époque dorée qui verra une belle partie des classiques surgir. Sauf que, depuis quelques temps, le manque de pépites se fait furieusement ressentir. On ne peut pas dire que ma rétrospective déchaîne les passions, votre chroniqueur traversant une période de disette qui l'énerve de plus en plus entre deux gialli d'une fadeur notoire de Duccio Tessari, La Tarentule au ventre noir et son potentiel gâché et finalement Nue pour l'Assassin qui tenait plus de l'escroquerie qu'autre chose. Mon dévolu se jeta sur un des derniers noms de ma liste d'avant devenue rachitique : Photo interdite d'une bourgeoise. Un titre aussi séduisant qu'intrigant mais j'ai appris qu'il ne faut jamais se fier à un bel emballage de départ qui pouvait vite s'illustrer comme de la poudre aux yeux.
La Tarentule au ventre noir m'a rappelé combien cette règle devait être suivie. Derrière cet énième giallo se cache Luciano Ercoli, un modeste artisan du cinéma bis à la carrière très éphémère puisqu'on ne lui compte seulement que huit films. Parmi ceux-ci, deux autres gialli qui sont Nuits d'Amour et d'Epouvante et La mort caresse à minuit. Dans mon infinie mansuétude, je vous épargnerai encore des rajouts supplémentaires.

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ATTENTION SPOILER : Minou, jeune femme prude et insatisfaite, est mariée à l'industriel Peter. A l'opposé de Minou, son amie Dominique est une femme libre et sensuelle qui se livre à des jeux érotiques au cours desquels elle se photographie en compagnie d'amants. Accusant Peter de meurtre, un maître chanteur exige de Minou son corps pour prix de son silence.

Pourtant, l'idée d'explorer en profondeur sa filmographie ne m'aurait pas déplu mais je ne vous cache pas commencer à saturer dangereusement du giallo. Et puis, quand on entend que ce ne sont pas des gialli qui se prennent au sérieux, nonobstant leur bonne qualité, je me disais que faire l'impasse ne serait pas un mal. Vous devez savoir que Cinéma Choc préfère la noirceur au comique. Bref, Photo interdite d'une bourgeoise a l'honneur de sortir juste avant l'explosion du genre que l'on peut situer plus spécifiquement en 1971 et 1972. Si les bases ont été posées, Ercoli ne va pas y prêter allégeance, optant plutôt pour la carte du vrai faux giallo que des bonhommes comme Duccio Tessari l'ont fait, mais en moins bien et plus soporifique. A la différence du traditionnel serial-killer ciblant l'entourage d'une personne en particulier et terrorisant de surcroît la ville, cela ne sera pas le cas ici. Plus élaborée, la trame se déroule comme souvent dans l'univers bourgeois qu'il dépeint comme étant loin d'être d'une intégrité morale sans faille. Certes, le luxe et le raffinement sont comme souvent de la partie mais ils n'occultent pas les travers de ces gens entre soif d'enrichissement à tout prix avec l'industriel Pieter et les moeurs délurées de Dominique qui se complait dans des relations sexuelles libres dans l'esprit de la libération sexuelle.

La seule personne qui soit au-dessus de ça est la splendide Minou et sa chevelure d'un roux éclatant qui aura la malchance de faire une rencontre très désagréable un soir en sortant de chez elle. Prise à parti par un homme menaçant, il lui dira de bon coeur que son mari est un assassin et qu'elle ferait mieux de l'écouter pour éviter que la situation ne dégénère. L'argent ne l'intéresse pas le moins du monde. Ce qu'il veut est assouvir ses pulsions dépravées de domination sur notre pauvre Minou bien forcée d'obtempérer face à la détermination sans faille du maître chanteur. En effet, elle ne peut faire échapper de son esprit les révélations reçues en pleine poire qui sont étrangement concordantes. Les doutes envers son mari sont ce qui permettra à l'homme de faire de Minou son esclave, la torturant psychologiquement pour l'assujettir. Délaissée par Pieter plus concentré sur la santé financière chancelante de son entreprise que sur sa vie sentimentale, le rapport érotique avec son ravisseur qui usera de pratiques sadomasochistes flagrantes la marquera en profondeur. Ercoli joue de cette ambiguïté au point que nous douterons de la répulsion que Minou a envers ce pervers. Les scènes filmées la montrant dans un état de transe. 
En filmant la sculpture du diable éclairée de rouge vif, le réalisateur mêle le désir qui s'éprend de la relique maléfique. 

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Ercoli va faire de son Photo interdite d'une bourgeoise un film audacieux de machination et de perversion où l'immoralité est poussée bien plus loin que la plupart des gialli qui suivront même les années suivantes. L'emprise sans partage d'un homme qui va faire d'une femme innocente son objet qu'il martyrisera par pur plaisir sadique en dérangera plus d'un (ou d'une en l'occurrence). Mais attention, gare à ne pas s'attendre à des étalages d'attributs féminins à tout bout de champ. Ercoli n'a pas pour but de faire du racolage et c'est tout à son honneur, même si on aurait espéré un peu plus de provocation. Pour le gore, là les aficionados pourront voir ailleurs car pas un seul meurtre n'est filmé, le sang ne coulant quasiment pas. De quoi refroidir les ardeurs des téméraires.
Dans l'absolu, ce n'est pas un problème car le rythme prenant et l'intensité qui découlent du mystère ambiant font que l'on passe au-dessus de ça. Cette absence de meurtres stylisés est ce qui placera le film un peu à part dans le giallo. Alors qu'est-ce qui empêche Photo interdite d'une bourgeoise de pouvoir prétendre à se mesurer aux plus grands gialli ?

La réponse réside dans un bel enrobage dissimulant, en creusant un peu, un scénario qui aurait pu être mieux exploité et qui est bourré de maladresses. Ce ressenti sautera aux yeux à la fin film où des questions subsistent. Pourtant, quelle excellente idée de faire plonger Minou dans la folie en la torturant via son croquemitaine insaisissable. Cela empêchait justement cette idée de verser dans une vacuité scénaristique qui aurait totalement ruiné le potentiel évident du titre. La détérioration mentale de son actrice principale est d'une étonnante crédibilité, donnant un ton nouveau à Photo interdite d'une bourgeoise qui opte plus pour le giallo cérébral que pour le giallo conventionnel. Cette technique à double-tranchant s'avérera payante, mais pas suffisamment pour que l'on en arrive à lâcher un "Waw !" arrivé à la fin. Et Dieu sait qu'en poussant le vice un peu plus loin en termes d'outrecuidance (même si le niveau est honorable), en conjugaison avec l'atmosphère de manipulations et de pensées incertaines en place, on aurait eu un giallo coup de poing, en plus de la storyline qu'il aurait fallu remanier. 

 

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Là où Ercoli s'est plus que bien débrouillé, c'est sur le visuel de son film qui n'a rien à envier aux panthéons du genre. D'un raffinement certain et magnifié par des plans construits et précis, les décors sont autant prestigieux qu'inquiétants. Le point culminant étant l'appartement du détraqué dont l'ambiance gothique qui y règne renvoie à Argento et Bava. A la différence de certains gialli vus, il n'y a pas cet amateurisme que l'on ressent. Le réalisateur sait ce qu'il veut faire et le pari fut amplement réussi. Ennio Morricone est une fois de plus parmi nous avec une partition sonore toujours aussi belle. Sauf que l'on finit par vite s'en lasser tant elle est utilisée parfois presque jusqu'à l'overdose.
Dommage de ne pas avoir su faire preuve de pondération sur ce coup. L'on finira par un mot sur un casting de qualité relativement honorable. La beauté de Dagmar Lassender crève l'écran, tout en parvenant à crédibiliser son personnage qui est de plus en plus au bord de péter les plombs. On saluera aussi la présence de Simon Andreu, Nieves Navarro, Pier Paolo Capponi, Osvaldo Genazzani et Salvador Huguet.

Je suis assez étonné d'avoir pondu une chronique de giallo beaucoup plus longue que d'accoutumée. Y avait-il tant de choses à dire de plus en comparaison des autres ? Il faut croire que oui car il ne me semble pas vous avoir raconté ce que j'ai fait de ma journée. Même si ce n'est pas non plus très jojo, je ne peux cacher ma satisfaction d'être sorti de cette période de misère giallesque dans laquelle j'étais engoncé. Toutefois, ne vous méprenez pas car je ne vends pas de manière dithyrambique Photo interdite d'une bourgeoise. Si la qualité globale est satisfaisante, il y a cette petite gnac qui manque au long-métrage sans oublier son histoire finalement très décevante, tournant en eau de boudin quand la lumière est faite sur tous les événements qui ont frappé notre petite Minou.
Mais si l'on part du principe de ne pas tenir la dernière pépite et en abaissant un peu son niveau d'exigence, Photo interdite d'une bourgeoise pourrait être un prétendant de choix à vous recommander, ne fut-ce que pour son approche singulière qui mérite d'être découverte au moins une fois. Ceci dit, je ne sais pas si cette sortie du long tunnel de déception parcouru est à l'origine d'un engouement que certains jugerons irrationnel ou non.

 

Note : 13/20

 

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